Le secrétariat de l’école où j’ai fait mes études d’art-thérapie m’a téléphoné pour savoir où j’en étais dans mon parcours. Ils disent que c’est pour faire avancer le métier d’art-thérapeute, le faire reconnaître. C’est vrai, mais pas seulement ! Ces statistiques leur permettront aussi de renouveler leur contrat de validation de certificat RNCP. Je leur ai parlé d’une place difficile à trouver, en tant qu’art-thérapeute. Je parle souvent avec d’autres art-thérapeutes formés de diverses écoles et tous disent cette difficulté d’exercer notre métier, de dire notre place, de la faire connaître. Cela me rappelle la fameuse parole sainte de mon école : c’est l’offre qui crée la demande, si vous savez bien dire votre métier, un professionnel vous fera confiance. Cela sous-entend que si je ne trouve pas une place dans ma profession, c’est de ma faute ! Certainement pour partie. Mais pour partie seulement, les art-thérapeutes diplômés ne trouvent pas tous du travail aussi aisément que dans notre imaginaire d’étudiants ! Je pense que les écoles forment beaucoup d’art-thérapeutes, et que les art-thérapeutes n’ont pas encore une place déterminée dans le champ du soin. Nous avons aussi ce travail à faire, faire notre place, difficile tâche dans les méandres des institutions soignantes, nous sommes soumis au désir de celui qui décidera de promouvoir une politique du soin laissant aux souffrants une place de sujet. En attendant, le plus souvent, les art-thérapeutes se retrouvent seuls et démunis sur le marché du travail. C’est pourquoi, je souligne une petite victoire, Cynthia Fleury crée une chaire de philosophie au cœur de l’hôtel-dieu, afin d’aller vers la place du sujet à l’hôpital, pour réinventer la relation au soin, à la maladie, à la vie.
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Poignées de mains, article d’Héloïse – La vie en psy
Je me souviens j’étais en stage dans un hôpital de jour pour adulte à Paris. Il y avait là un jeune homme très raide dans son manteau qu’il ne quittait jamais. Moi, tout comme lui, c’était la première fois que je mettais les pieds dans un service de psychiatrie. Nous n’étions pas loin d’avoir le même âge. Dans son dossier, il y avait écrit: »première décompensation psychotique au décours d’un stage sur le Cri Primal« . Il parlait très peu, ce qui m’arrangeait bien, je n’aurais pas su quoi lui répondre. Il transpirait toute la journée dans son manteau et participait sans mot dire aux activités. Je le regardais souvent, je lui parlais, j’essayais tant bien que mal de lui proposer des choses, c’était devenu mon patient pour toute l’équipe.
Je me souviens du dernier jour de mon stage. Il avait enlevé son manteau pour la première fois. Il m’a serré la main et une curieuse émotion a traversé son visage. Sa main n’était pas moite.
J’ai eu envie de pleurer.
Je me souviens de ce patient que j’ai suivi chaque mardi pendant 2 ans au centre médico-psychologique. Il ne parlait guère et me donnait immanquablement envie de dormir. Cela me semblait important de le voir, allez savoir pourquoi, il n’avait rien d’autre que ce suivi, en dehors de son injection mensuelle de neuroleptiques. Il était là chaque semaine. Immanquablement. Lorsque je lui ai annoncé mon prochain départ, il n’a pas cillé. Le jour venu, il m’a serré la main, je lui ai dit au revoir et il m’a répondu : »Au revoir. A jamais. »
J’ai eu envie de pleurer.
Je me souviens de ce patient qui habitait à l’hôpital psychiatrique depuis quelques années déjà. Dans son dossier, de la taille d’un annuaire, il y avait écrit « épilepsie- psychose-potomanie« . Il était là depuis toujours. Et pour toujours. Tout le monde savait qu’il avait la fâcheuse habitude de se masturber dans les toilettes puis d’aller, un grand sourire sur le visage, serrer la main au personnel féminin. Je lui ai serré la main le jour de mon arrivée. On m’a tout raconté.
J’ai eu envie de pleurer.
Je me souviens des mains moites, des mains qui s’échappent, des mains qui serrent, des mains franches, des mains qui te regardent dans les yeux, des mains qui disent merci, des mains qui t’attaquent par derrière, des mains qui menacent, des mains qui s’agrippent, des milliers de mains que j’ai serré…
Ce soir, cela me serre le cœur. J’ai envie de pleurer.
Héloïse
C’est quoi accueillir ?
Aujourd’hui, j’ai lu une phrase attribuée à Lao Tseu : « Quand tu accueilles quelqu’un, pense à tout le chemin qu’il a fait pour venir jusqu’à toi. »
Je me suis alors demandé : « C’est quoi en fait accueillir ? » Le travail de l’art-thérapeute prend tout son sens à partir du moment où il propose un accueil qui prend en compte la subjectivité, donc la spécificité du sujet, et la dimension du sujet de l’inconscient.
Accueillir l’autre comme un sujet, c’est mettre en place un cadre permettant à chacun de faire signe à partir du lieu et du temps d’élaboration psychique qui est le sien.
L’art-thérapeute ne doit pas être dans l’attente (il y travaille). Accueillir se passe ici et maintenant, accueillir quelqu’un comme un sujet, c’est accueillir toute sa créativité, n’est-ce pas toujours une façon nouvelle d’inventer l’instant présent ?
Entre dires et silences
Les dires de l’autre me touchent, j’accueille ces mots sensibles qui viennent parfois au détour de la séance. Que veulent me dire ces mots ? Que dois-je en faire ? Dois-je y répondre ? Dois-je me taire ? Pourquoi sont-ils ? Pour qui sont-ils ?
Pour d’autres, ce sont les silences qui me touchent, il n’y a plus de mots, les mots n’expriment plus, à personne. Qu’est ce que je mets à la place de ces silences ? Mes pensées de l’instant qui cherchent à faire sens.
Entre ces dires et ces silences, il y a moi qui cherche et qui veux trouver ma place, qui se sent parfois embarrassée et qui s’accroche au sens de ma présence.
Cet impossible oubli… à propos de la démence, article d’ André Quaderi.
J’ai effectué mes stages pratiques en centre de gériatrie, j’ai été touchée par les personnes âgées souffrant de démence. J’ai cherché à comprendre comment je pouvais avoir une approche bienveillante. C’est le travail d’André Quadéri qui m’a offert la matière fertile à ma réflexion, j’ai pu en m’appuyant sur son travail, me construire une éthique.
L’OUBLI DÉMENTIEL DE LA MÉMOIRE
Pour le patient atteint de la maladie d’Alzheimer ou apparentée, l’ensemble de sa vie s’immerge dans la perte de mémoire (prise ici au sens commun). Comment alors comprendre, à partir de Freud, les manifestations dans la clinique du dément de souvenirs tronqués répétés à l’identique (et parfois à l’infini) sous les affects d’angoisse, d’agitation de Mmes Porte et R. ?
Paradoxalement, Freud nous ouvre la voie dans son article « Remémoration, répétition, perlaboration ». Il présente, à la fin de son exposé, une patiente comme « un exemple extrême ». Cette « dame âgée », « au cours d’états confusionnels avait plusieurs fois abandonné le domicile conjugal pour fuir quelque part, sans pouvoir motiver cette fugue. Elle commença sa cure chez moi sous le signe d’un transfert positif bien marqué qui crût avec une rapidité anormale dès les premiers jours du traitement. À la fin de la semaine, la dame prit la fuite, avant même que j’aie eu le temps de lui dire quelque chose qui aurait pu prévenir cette répétition. » Cette dame âgée présente des signes confusionnels s’apparentant, selon nous, à la démence. La répétition des fugues qui sont sans élaboration ainsi que l’âge, encore que « dame âgée » à l’époque de Freud ne revête pas la même signification actuelle, s’assimile grandement avec la clinique de la maladie d’Alzheimer.
Comment expliquer les répétitions (Mmes R. et Porte par exemple) qui sidèrent le dément dans une compulsivité de ses actes ? Ces répétitions ne peuvent être comprises si nous omettons de notre analyse l’énervement et l’agitation de Freud devant sa difficulté à verbaliser le nom de Signorelli. Énervement et agitation, mécontentement de soi et libération d’une contrainte expriment à la fois un déplaisir devant la force de résistance du refoulement et le manque que dévoile le mot dérobé. Tout comme Freud devant l’érudit le délivrant de son oubli, le dément, avec un coefficient majoré, se tend vers son interlocuteur dans une intention de parler, de rembourser sa dette. Si Freud ne trouve pas le nom du peintre, sa psyché fonctionne, elle présente un raté isolé, momentané, en résumé, non pathologique. En revanche, pour le dément, le raté demeure, croît et envahit l’ensemble des processus psychiques. Sa mémoire se dérobe du fait d’une altération cognitive de sa mémoire sémantique, d’un déficit du substrat organique. Pour Freud, la mémoire se dérobe ; dans la démence, elle manque à l’appel, elle crée par là même un manque à être. Le dément ne peut ainsi que reproduire inlassablement sa demande dans la formulation de souvenirs répétés et partiels. La sidération du manque de mot, directement imputable au processus dégénératif, conduit le patient à un impossible à créer. Roland Gori attelle la dette du sujet à la parole (dette contractée pour se souvenir) à la condamnation « à créer sans cesse », à générer à l’infini des discours. Pour le dément, son incapacité à se souvenir au sens freudien apparaîtrait liée à la fois à des effets d’anéan- tissement idéique et à des troubles du langage fréquents dans la maladie d’Alzheimer et maladies apparentées.
Le dément répète car il ne se souvient pas. Il répète à l’infini, tendu vers l’Autre, tout comme Freud délivré par son ami, pour se libérer de cette contrainte réelle, du Réel de ne pouvoir dire et donc être. Cette répétition, parfois à l’infini, des productions démentielles, épuisantes pour les soignants et l’entourage, signe la persistance d’une dépendance humaine au langage. Toutefois, cette répétition peut être perçue comme relevant du non-sens. C’est ainsi que Luce Irigaray (1973) approche le dément à partir de ses troubles du langage : « Parlé plus que parlant, énoncé plus qu’énonçant, le dément n’est donc plus, à strictement parler, un sujet d’énonciation actif. Il ne génère plus de discours. Il n’est que le locuteur passif d’énoncés antérieurement produits. » Elle ne fait que confirmer ce qu’elle avait préalablement affirmé : « On pourrait parler, à la limite, d’un langage se répétant lui-même et non d’un locuteur faisant appel à la langue pour transmettre effectivement un message. » Ces analyses sont toujours d’actualité dans la plupart des publications des chercheurs Eustache (1999), Garelli, De Guillebon (1999). Si le dément ne peut, en effet, seul générer de discours, a contrario, être acteur en continuité d’une énonciation semble possible (Quaderi, 2003). Lors de nos évocations cliniques, nous initions la production d’un échange verbal à la suite des cris, des hurlements, ou de l’apathie. Mme R. et Mme Porte expriment, selon nous, par leurs attitudes angoissées et répétées ce manque de disponibilité des mots, cet impossible oubli qui autorise l’accès à la parole. Nous analysons l’agitation à répétition du dément comme la transformation du non-sens en comportement de décharge motrice (cris, agitation, etc.). Ces conduites appellent, happent le praticien dans une clinique à l’extrême de la relation humaine. Le dément pressent qu’il savait, sans comprendre pour autant pourquoi il ne sait plus, et ce presque irrémédiablement. Ce savoir sur sa mémoire bute sur le réel de la maladie organique, nous pourrions presque avancer que ce savoir dépossédé devient forclos. Tout comme la dame âgée de Freud, le dément répète, recherche inlassablement, par son comportement, une quête de sens. La sidération répétitive du dément se comprend comme une requête incessante adressée à lui-même et à son entourage du paiement de sa dette à la parole. Ainsi, l’agitation et les répétitions du dément expriment la dépendance de l’humain dément au fait du langage. Les comportements démentiels du malade atteint de maladie d’Alzheimer ou apparentée dévoilent ainsi des processus psychiques en fin de vie, désorganisés par l’absence de l’oubli freudien…
Comment alors réduire (à défaut de guérir) cette agitation et cette compulsivité, là où Freud échoue avec cette dame âgée confuse ?
Extrait de
Quaderi André – Mémoire et souvenir dans la clinique du dément – Cliniques méditerranéennes, 2009/1 n° 79, p. 79-90.
Lire aussi :
Quaderi André – Psychologie du vieillissement – Armand Colin – 2013.
Quaderi André – La psychanalyse au risque de la démence. Le pari pascalien dans la clinique du dément – Cliniques méditerranéennes.
Éthique et déontologie
Aujourd’hui, je conçois l’art-thérapie comme un espace d’expression singulière cadré par une éthique qui fonde et structure le métier de l’art-thérapeute. L’éthique se réfère en premier lieu dans le code de déontologie, il fixe l’action de l’art-thérapeute et ouvre au respect du patient dans sa dimension psychique et physique. Le cadre de la formation fait aussi partie de l’éthique, l’éthique de l’art-thérapie proposée par Profac est éclairée par la psychanalyse, elle est du côté du parlêtre. L’inconscient étant à fleur de langage : parce que choisir un mot, c’est en taire un autre, il y a un impossible à dire. Dans le cadre de la formation, l’art-thérapeute s’ouvrira à sa position interne, son propre cadre, il devra atteindre la position éthique de l’abstention. Il ne sait rien et ne cherche pas à obtenir un savoir, il accueille l’autre dans sa globalité, avec sa singularité de jouissance aussi. Cette formation invite le futur art-thérapeute à s’incliner devant son patient. Un autre cadre, le cadre physique de la séance définit un lieu et un temps qui contiendra la rencontre art-thérapeutique. Ainsi, ces conditions favorables posées, un espace sécurisant et à l’abri de toute intrusion est construit. La séance se tient hors lien social, dans un cadre contenant, bienveillant, avec un accueil au singulier. Dans l’espace éphémère de la séance qui se présente hors réel, l’imagination est stimulée, le patient est invité à représenter ce qu’il a imaginé, il entre ainsi dans un processus de créativité. C’est une rencontre avec l’inattendu, c’est un échange dans l’instant présent.
Références :
Colette Soler – Du parlêtre – L’en je lacannien – 2/2008. Cairn.info.
JP. Royol – Art-thérapie – Au fil de l’éphémère – Dorval Editions 2013.
À propos du désir…
Depuis le début de ma formation, je m’interroge sur mon désir d’être art-thérapeute. C’est un travail de réflexion personnelle mais aussi un point que j’ai souvent abordé en supervision. J’ai besoin d’être claire sur ce désir qui induit la dynamique des séances.
« Ainsi cet homme, comme tout homme qui désire, désire ce qui n’est ni présent, ni disponible, ce qu’il n’a pas, ce qu’il n’est pas, ce qui lui manque ; et c’est bien là, nous l’avons vu, l’objet de tout amour et de tout désir ». Platon, Le Banquet (201e).
Le désir, à la source, naît de l’écart entre le besoin et la demande. C’est parce que le besoin a été assouvi, donc transformé en réponse satisfaisante, qu’il se change en désir. Désirer, c’est accepter la coupure afin de rétablir un état de satisfaction (la coupure, c’est la séparation d’où naît le manque). Le désir passe par le langage, Lacan propose de définir le désir par une citation d’Hegel : « Le désir de l’homme, c’est le désir de l’Autre ». Le désir humain a pour seul objet le désir de l’Autre dans une demande de reconnaissance. Nous désirons être désirés par autrui, le désir est intimement lié à la demande de reconnaissance d’autrui. Cette vérité s’applique au désir inconscient, le désir n’est pas par principe relié à un objet réel mais cherche à s’exprimer dans le fantasme, il est inséparable de la demande. Le désir se manifeste sur des objets différents, si je désire un objet, je désirerai aussi ceux qui lui ressemblent ou qui lui sont liés par tout autre lien, parce qu’ils me rappellent cet objet. Le désir par essence est manque, il est douleur, il est créateur et producteur de sens, d’objet. Il nous faut assumer, accepter l’état de manque pour désirer. Aussi, nous ne reconnaissons pas forcément notre désir…
Références :
Joël Dor – introduction à la lecture de Jacques Lacan – Denoël 2002.