Poignées de mains, article d’Héloïse – La vie en psy

Je me souviens j’étais en stage dans un hôpital de jour pour adulte à Paris. Il y avait là un jeune homme très raide dans son manteau qu’il ne quittait jamais. Moi, tout comme lui, c’était la première fois que je mettais les pieds dans un service de psychiatrie. Nous n’étions pas loin d’avoir le même âge. Dans son dossier, il y avait écrit: »première décompensation psychotique au décours d’un stage sur le Cri Primal« . Il parlait très peu, ce qui m’arrangeait bien, je n’aurais pas su quoi lui répondre. Il transpirait toute la journée dans son manteau et participait sans mot dire aux activités. Je le regardais souvent, je lui parlais, j’essayais tant bien que mal de lui proposer des choses, c’était devenu mon patient pour toute l’équipe.
Je me souviens du dernier jour de mon stage. Il avait enlevé son manteau pour la première fois. Il m’a serré la main et une curieuse émotion a traversé son visage. Sa main n’était pas moite.
J’ai eu envie de pleurer.
Je me souviens de ce patient que j’ai suivi chaque mardi pendant 2 ans au centre médico-psychologique. Il ne parlait guère et me donnait immanquablement envie de dormir. Cela me semblait important de le voir, allez savoir pourquoi, il n’avait rien d’autre que ce suivi, en dehors de son injection mensuelle de neuroleptiques. Il était là chaque semaine. Immanquablement. Lorsque je lui ai annoncé mon prochain départ, il n’a pas cillé. Le jour venu, il m’a serré la main, je lui ai dit au revoir et il m’a répondu : »Au revoir. A jamais. »
J’ai eu envie de pleurer.
Je me souviens de ce patient qui habitait à l’hôpital psychiatrique depuis quelques années déjà. Dans son dossier, de la taille d’un annuaire, il y avait écrit « épilepsie- psychose-potomanie« . Il était là depuis toujours. Et pour toujours. Tout le monde savait qu’il avait la fâcheuse habitude de se masturber dans les toilettes puis d’aller, un grand sourire sur le visage, serrer la main au personnel féminin. Je lui ai serré la main le jour de mon arrivée. On m’a tout raconté.
J’ai eu envie de pleurer.
Je me souviens des mains moites, des mains qui s’échappent, des mains qui serrent, des mains franches, des mains qui te regardent dans les yeux, des mains qui disent merci, des mains qui t’attaquent par derrière, des mains qui menacent, des mains qui s’agrippent, des milliers de mains que j’ai serré…
Ce soir, cela me serre le cœur. J’ai envie de pleurer.
Héloïse

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Une réflexion au sujet de « Poignées de mains, article d’Héloïse – La vie en psy »

  1. Quand on serre une main, c’est un échange de corps à coeur. La main du » bon jour », de l' »au revoir », la main tendue, la main perdue…
    Combien de mains demain passeront leur chemin, passeront notre chemin vers un autre destin ?
    Les larmes à la main unissons tous nos liens.

    Chantal

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